En dialogue
Les expositions de l’hiver-printemps 2019 au MAJ

Du 2 février 2019 au 5 mai 2019

À propos —

Art canadien et identités culturelles

Les identités culturelles se constituent à travers les expériences vécues, plutôt que d’être construites de façon préméditée. Elles ne nous apparaissent définies et uniformes que lorsque nous possédons suffisamment de recul géographique ou historique.Il arrive rarement que des groupes d’individus agissent dans le but déclaré de construire de telles identités. Pour sa programmation actuelle, le Musée d’art de Joliette a choisi de présenter des artistes qui réfutent toute construction identitaire préméditée. L’incorporation du travail de ces artistes dans un récit d’identité nationale (que ce soit dans le cadre d’une importante collection publique ou d’une exposition muséale) complexifie considérablement la donne. Les expositions présentées ici ne s’intéressent pas tant à la création d’une identité nationale qu’à une réflexion sur les discordances et la pluralité en tant qu’influences positives et riches au sein de l’art canadien.

Ayant vécu la plus grande partie de sa vie à l’étranger, James Wilson Morrice a constamment et consciemment lutté pour ne pas devenir partie prenante de la fascination, alors bien réelle, suscitée par la canadianité dans l’art. La plupart de ses homologues contemporains ont exposé en Europe dans des contextes qui mettaient l’accent sur cet intérêt. Ils ont réalisé des peintures de paysages canadiens dans le but de se différencier de ce que peignaient des artistes européens à l’époque. Bien que Morrice ait également réalisé quelques peintures de ce type, il s’est surtout concentré sur des sujets allant au-delà de toute lecture canadienne, en privilégiant une approche stylistique moderne et unique.

Les artistes autochtones contemporains se sont vus longtemps exclus de l’art canadien. Jusqu’aux années 1980, ils étaient largement rejetés par les institutions muséales, même si Norval Morrisseau et beaucoup d’autres produisaient de l’art depuis longtemps. Quand ils ont enfin obtenu une certaine reconnaissance, cela s’est fait d’une manière qui continuait de les marginaliser. Aujourd’hui, les institutions s’efforcent de plus en plus d’invalider cette hiérarchisation. Nous visons l’inclusion de toutes les voix, sans estomper les différences ni égaliser les textures. Les artistes contemporains issus des Premières Nations et d’origine inuite et métisse constituent une partie importante de notre paysage politique, sociologique et artistique actuel. Les artistes présentés dans De tabac et de foin d’odeur. Là où sont nos rêves proposent des perspectives, des idées et des images essentielles pour une meilleure compréhension de notre histoire collective et des complexités du vivre-ensemble.

Comme le suggère l’artiste conceptuel Adam Kinner dans son projet Suite canadienne, une démonstration, l’histoire et les codes de la danse participent également à la définition de l’identité nationale.Les réflexions qu’il poursuit autour de Suite canadienne, la chorégraphie historique de Ludmilla Gorny Chiriaeff, mettent en lumière et interrogent des mécanismes éducatifs et de construction de l’identité. Par son inclusion dans des institutions artistiques canadiennes telles que le Musée, l’approche de Kinner devient une voix de plus dans un récit officiel multiple. Un récit qui, avec suffisamment de temps et de distance, sera lu comme fixe, mais aussi, nous l’espérons, pluraliste, texturé et riche.

 

Jean-François Bélisle, directeur général et conservateur en chef du Musée d’art de Joliette


Image à la une : 

Vue de l’exposition James Wilson Morrice. Une collection offerte par A. K. Prakash à la nation.
Photo : Romain Guilbault 2019.