Sheena Hoszko – 35+ prisons au Québec

Commissaire : Anne-Marie St-Jean-Aubre

Du 6 octobre 2018 au 6 janvier 2019

À propos —

De la prison au musée

Sheena Hoszko crée depuis 2006 des installations sculpturales influencées par l’art minimaliste afin d’aborder des enjeux de pouvoir et de justice sociale touchant notamment au système carcéral. Sensibilisée à ce sujet par son expérience familiale et par son engagement en tant qu’organisatrice antiprison, elle produit des œuvres conceptuelles qui, bien qu’elles puissent paraître abstraites, austères et rationnelles à première vue, se révèlent éminemment sensibles. Alors que d’autres médiums comme la photographie documentaire déjoue l’invisibilité du milieu carcéral et l’indifférence à son sujet en suscitant de l’empathie grâce aux portraits de personnes qui sont « en dedans », Hoszko privilégie plutôt une autre approche. Ses œuvres ciblent moins les individus que le système en lui-même, auquel l’artiste donne une forme visuelle pour nous faire réfléchir tant aux valeurs qui sous-tendent nos choix en matière de traitement des détenus qu’aux structures qui entraînent leur criminalisation.

Hoszko fait ainsi l’économie de la représentation figurative pour miser sur l’expérience des visiteurs appelés à se mesurer aux œuvres. Si l’espace, une dimension essentielle pour tout sculpteur, est central à sa recherche artistique, c’est la manière dont elle en fait usage qui rend sa démarche singulière en regard des enjeux politiques qui l’occupent. Par exemple, devant le volume refait à l’échelle 1:1 d’une unité réservée au traitement des troubles de santé mentale en milieu carcéral (2017) ou face à l’accumulation des clôtures qui représente le périmètre du Centre correctionnel Centre-Est (2016), le visiteur prenait physiquement conscience du contexte spatial propre aux détenus. Pour créer ces projets, Hoszko a basé son calcul sur des documents reçus suite à une demande d’accès à l’information ou sur le nombre de pas qui lui ont été nécessaires pour faire le tour de l’institution. Le corps sert ainsi d’étalon de mesure, tant dans le face à face avec ses installations que pour leur réalisation. Par le choix esthétique de la non-figuration, l’artiste affirme sa position éthique : éviter d’instrumentaliser la voix ou l’image des détenus, qui n’ont pas l’occasion de s’affirmer ou de répondre par eux-mêmes alors qu’ils sont les seuls à pouvoir réellement témoigner de la réalité vécue de « l’intérieur ».

Le projet 35 + Prisons in Québec [35 + prisons au Québec] découle d’un long parcours ayant mené Hoszko au pied de chacune des institutions carcérales de la province, y compris l’Établissement pour femmes de Joliette, situé à trois kilomètres du Musée. Sur chaque site, elle a prélevé une empreinte du seuil où s’interrompt la liberté de mouvement pour ensuite les graver sur des plaques de cuivre. En dispersant les plaques dans l’espace du Musée, c’est à la géographie du réseau carcéral qu’elle s’est intéressée et à l’histoire de sa constitution, à laquelle le clergé a été lié. Travaillant à imaginer des alternatives à la prison comme solution aux problèmes sociaux, économiques et politiques, et prêchant pour l’abolition de ce système où les Noirs et les Autochtones sont surreprésentés, elle a choisi de ne pas fixer l’émulsion sur ces plaques, faisant ainsi de la trace de ces lieux une réalité appelée à disparaître.

L’artiste souhaite ultimement que ses œuvres agissent comme un déclencheur, incitant les visiteurs à s’informer et à s’interroger davantage en lisant le fanzine explicatif et en consultant les textes mis à leur disposition. Pour emprunter les mots de la criminologue Sandra Lehalle, c’est tout autant à la « raison d’être des prisons » qu’aux « manières d’être de la prison » que Hoszko nous enjoint à réfléchir.  Il est d’ailleurs étonnant d’apprendre que ce n’est que depuis 1992 que les droits des détenus sont reconnus légalement à la suite d’une réforme de la loi canadienne sur l’incarcération et la liberté conditionnelle, qui vise à les protéger des abus de pouvoir et de la gestion arbitraire. Tardive, cette réaction, qui découle d’une prise de conscience minimale de l’humanité des détenus, révèle à quel point la situation carcérale est restée longtemps un point aveugle au Canada. Très sceptique quant aux changements réels provoqués par cette réforme, Hoszko insiste pour sa part sur le caractère implacable du système, malgré tout.

Œuvre à la une :

© Sheena Hoszko, vues de l’exposition 35+ prisons au Québec, 2018.
Photos : Romain Guilbault

 

Entrevue avec Sheena Hoszko

 

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Biographie —

Sheena Hoszko est une sculpteure, organisatrice antiprison et colonisatrice vivant et travaillant à Tio’tia:ke (Montréal) sur un territoire Kanien’kehá:ka. Sa pratique artistique examine les dynamiques de pouvoir des lieux géographiques, architecturaux et psychologiques et se nourrit de ses expériences familiales de l’incarcération, du domaine militaire et de la maladie mentale. Ses récents projets ont été vus ou seront présentés au Centre Clark et à La Centrale (Montréal), au A Space (Toronto), à la New Gallery (Calgary), à la Blackwood Gallery (Mississauga), au Musée d’art de Joliette et à La Ferme du Buisson (Paris). Hoszko a récemment présenté son travail au Queens Museum dans le cadre de l’Open Engagement. Ses textes ont été publiés dans M.I.C.E Magazine et dans Free Inside: The Life and Work of Peter Collins, aux éditions Ad Astra Comixs.