Iphigénie Marcoux-Fortier. DEVENIR CHEZ-NOUS

Commissaire : Maéli Leblanc-Carreau

Du 11 juin 2023 au 4 septembre 2023

À propos —

En 2018, l’artiste et documentariste Iphigénie Marcoux-Fortier lançait une invitation ouverte à participer à DEVENIR CHEZ-NOUS aux femmes du territoire rural de Lanaudière – nommé Nitaskinan par les Atikamekw Nehirowiskwewok. Des femmes d’origines et d’expériences diverses ont alors pris part à une série de conversations à propos de la pluralité de leurs chez-nous. Déclenchés par un processus réflexif de partage, ces échanges portant à la fois force et vulnérabilité ont révélé que l’idée du chez-nous est intrinsèquement liée au processus de construction identitaire universel et qu’il peut prendre de multiples formes – un lieu physique, un objet, une personne, un réseau de personnes, un souvenir, une idée ou même une émotion.

De ces discussions collectives ont émergé les microhistoires qui façonnent le projet DEVENIR CHEZ-NOUS, dans lequel ces femmes se racontent. Chacun des courts-métrages réalisés en cocréation avec Iphigénie Marcoux-Fortier témoigne d’un respect et d’une bienveillance réciproques puisqu’il met en pratique la démarche de l’engagement sensible, qui valorise l’écoute mutuelle et le bien-être des participantes. Cette approche relationnelle est transposée dans les œuvres vidéos de manière sonore par l’intermédiaire de la narration, issue des conversations de groupe, laissant entendre les murmures des interlocutrices, et de la mélodie unissant les voix des cocréatrices. Les détails visuels composant les microhistoires – maisons, personnes, objets, archives, paysages, etc. – rendent perceptible quant à eux la poésie du chez-nous. Bien que les courts-métrages soient tous uniques et à l’image des cocréatrices, certains éléments sont récurrents et tissent des liens dans la différence. Notamment, la répétition de l’utilisation de la transparence dans la représentation des corps, laquelle rappelle l’universalité de notre impermanence sur le territoire, ce dernier étant lui aussi mis à l’avant-plan dans les vidéos. Les oiseaux-avatars qui personnifient chacune des cocréatrices insistent pour leur part sur la singularité de ces femmes. Ils symbolisent également la liberté qu’elles se réapproprient par l’acte d’autorécit et leur capacité commune à retrouver leur chez-nous, comme suggéré par le mobile les réunissant au centre du hall d’entrée pour la durée de la programmation.

À ce jour, une trentaine de femmes ont participé à ce projet qui a été exposé dans près d’une dizaine de lieux à travers la région de Lanaudière. Au Musée d’art de Joliette sont présentées en primeur les microhistoires de Morgane, Murielle, Amy, Iphigénie, Meky et Céline. Oscillant entre l’individuel et le collectif, entre l’écoute et la parole, DEVENIR CHEZ-NOUS est une œuvre courtepointe rendant visible des histoires hétérogènes qui, mises en relation les unes avec les autres, permettent d’aborder des enjeux sociaux et d’entrevoir une coexistence inclusive et harmonieuse.

Voir les cartels

Biographie —

Iphigénie se passionne pour les processus de cocréation documentaire. Protéiformes et en mouvement, ils alimentent et balisent sa pratique qui se déploie au fil des collaborations dans des contextes locaux et internationaux, ruraux et urbains, autochtones et non autochtones, boréaux et austraux. Détentrice d’un baccalauréat en communication (UQAM) et d’une maîtrise en études médiatiques (Université Concordia), Iphigénie s’éprend pour la création documentaire, il y a plus de vingt ans, et continue d’en explorer les reliefs. Avec sa collègue et amie Karine van Ameringen, Iphigénie cofonde la maison de production Les glaneuses, qui leur permet de créer des œuvres qui leur ressemblent : « Quand reviens-tu ? » (2005), Chère Rosalía (2008), Je serai là (2010), Épilogue (2015), Les indiens, l’aigle et le dindon (2014), Le pas de la porte (2013), Novembre (2023). Leurs films soulèvent certaines questions identitaires, mettant de l’avant rencontres interculturelles, philosophies de vie (ou de mort) et, comme un mantra silencieux, l’amour des humains et l’écoute des détails. D’autres œuvres collaboratives jonchent le parcours d’Iphigénie (Eeyu Cheschaaydamowin/The Plant Gathering Project, 2013; Hands On: Women, Climate, Change, 2014; Restons-y donc, 2019; Boris, 2022). Les intérêts d’Iphigénie l’amènent parfois vers d’autres formes narratives, où l’interactivité se déploie lors de marches en territoire urbain (développement de BRIB, 2016) ou dans une installation audiolittéraire destinée aux jeunes publics (Cabanes, 2017). Au cours des quinze ans d’expérience en tant que cinéaste-mentore avec le Wapikoni mobile, l’École de cinéma et communication mapuche del Aylla Rewe Budi, le projet de recherche-création Power of the Lens et la collaboration avec Nunami Sukuijainiq/Imalirijiit, Iphigénie accompagne la cocréation de plus d’une quarantaine de courts et moyens métrages en contextes autochtone, mapuche et inuit. À la lumière de ces expériences, Iphigénie conçoit l’art documentaire comme un acte politique et poétique relié aux êtres et aux territoires, outil-phare et geste-pont vers plus d’engagement sensible. Depuis un bon moment, avec les cocréatrices lanaudoises, Iphigénie se concentre à devenir chez-nous, jour après jour.

Nous, les cocréatrices de DEVENIR CHEZ-NOUS, sommes entraînées dans un mouvement de recréation de nos chez-nous grâce à des processus de réflexion, de conversation, de partage et d’explorations audiovisuelles poétiques. Des réflexions riches, complexes et plurielles à propos de nos chez-nous s’articulent dans l’intimité de nos conversations, dévoilant parfois, au creux des silences, quelques murmures d’empathie. Actes de parole, actes d’écoute, les microhistoires de DEVENIR CHEZ-NOUS racontent nos savoirs, nos sagesses, nos souvenirs, nos peines, nos peurs, nos cultures, nos épreuves, nos fantasmes et nos fantômes. Ces histoires s’ancrent dans les multiples paysages où nos corps se dissolvent. DEVENIR CHEZ-NOUS évoque les liens qui nous unissent dans la différence et, dans le mouvement, en tisse de nouveaux.



Images à la une :

Œuvre collective, Mobile DEVENIR CHEZ-NOUS, 2023. Photo : Ysabelle Latendresse

Amy Magowan Greene et Iphigénie Marcoux-Fortier, Les chez-nous d’Amy, 2023. Photo : Ysabelle Latendresse

Federico Uribe Linares, Morgane Asselin-Duguay et Iphigénie Marcoux-Fortier, Survol saisonnier DEVENIR CHEZ-NOUS, 2021-2022. Photo : Ysabelle Latendresse

Œuvre participative, Dans nos chez-nous, 2023. Photo : Ysabelle Latendresse