En dialogue
Hiver-printemps 2024

Du 10 février 2024 au 12 mai 2024

À propos —

[…] il faut se « souvenir des détails » afin d’élaborer une éthique de la mémoire et du récit grâce à des images et des mots qui inscrivent des réalités dans le récit historique.

Françoise Vergès, Programme de désordre absolu, 2023

On dit souvent que le corps a une mémoire, qu’il porte en lui-même les faits marquants de notre passé, mais aussi de celui de nos parents, voire de nos ancêtres : véhicule des histoires personnelles et collectives, le corps évoque et convoque. Les différentes variations de l’art performatif travaillent d’emblée avec cette puissante charge symbolique, à laquelle viennent se superposer d’autres couches de sens. Pour sa programmation hivernale, le Musée d’art de Joliette prend pour thème le corps et ses récits.

Les deux expositions individuelles présentées au rez-de-chaussée s’intéressent à la rencontre des mythologies personnelles et des mémoires collectives, là où se perpétuent les traumatismes intergénérationnels. Dans Bloodline [Liens du sang], Meryl McMaster explore son identité hybride à travers une série d’autoportraits photographiques et vidéo. De descendance crie (Cris des plaines)/siksika et britanniques/néerlandaise, elle met en scène une série d’incursions sur les terres de ses ancêtres de l’Ouest canadien. L’artiste incarne une figure atemporelle, à la fois réelle et imaginaire, dont les vêtements et parures témoignent des différentes identités qui cohabitent avec celles de ses aïeul·e·s. Son œuvre évoque le souvenir des anciens, de celles et ceux qu’elle n’a pas connu·e·s, mais dont elle porte la mémoire vivante, s’inscrivant de la sorte dans un vaste récit historique. Le corps comme lieu de cohabitation des mémoires, des histoires et des mythologies est également au cœur du travail d’Emma Waltraud Howes. Au fil du corpus d’œuvres présentées dans The Time it Takes [Le temps qu’il faut] se révèle une esthétique foisonnante et majestueuse, truffée de références culturelles diverses, allant du théâtre de Bertolt Brecht aux légendes inuites. Issue de l’univers de la danse, Howes utilise la notation chorégraphique comme base à la construction d’un imaginaire codifié qui se déploie ensuite à travers différents objets, médiums et matériaux. La gestuelle des corps – ou des parties de ceux-ci – manifeste leur expressivité et leur agentivité, forme de résistance à l’oppression et à la destruction.

Au 2e étage, le MAJ a le plaisir de présenter pour la première fois une antenne de la Manif d’art – La biennale de Québec qui porte cette année le titre Les forces du sommeil. Cohabitations des vivants. La commissaire Marie Muracciole y propose des œuvres vidéo d’Yto Barrada, de Francis Alÿs et de Rodney Graham, où la suspension de la productivité et l’état de latence se changent en force de résistance. Dans les aires de circulation du même étage, le public est finalement invité à revisiter des œuvres performatives qui ont marqué l’histoire de l’art, suivant un parcours préparé par le département d’éducation. Au fil de cinq stations, diverses expérimentations nous amènent à mieux comprendre comment des notions telles que le temps ou l’espace ont été interrogées et redéfinies.

Marianne Cloutier, conservatrice de l’art contemporain par intérim


Images à la une :

Meryl McMaster, The Grass Grows Deep, 2022. Impression giclée, 101,6 x 152,5 cm. Photo : Romain Guilbault

Emma Waltraud Howes, The Narcissist, or Elsa’s Muse: Performer III [Le narcissique ou la muse d’Elsa : Performeur III], de la série Bang Bang Baroque, 2019. Photo : Romain Guilbault

Rodney Graham, Halcion Sleep, 1994. Avec l’aimable permission de la succession de Rodney Graham. Photo : Romain Guilbault

Meryl McMaster, Lead Me to Places I Could Never Find on My Own II (détail), 2019. Impression numérique chromogène, 101,6 x 152,4 cm. Avec l’aimable permission de l’artiste, la Stephen Bulger Gallery, et la Pierre-François Ouellette art contemporain