À propos —
Depuis vingt ans, Jannick Deslauriers est réputée pour ses œuvres textiles diaphanes qui explorent les concepts de la mémoire, de l’adaptation et de la disparition. Ces dernières années, sa pratique artistique s’est enrichie de nouveaux matériaux — acier, cire d’abeille, silicone et poussière — lui permettant de concevoir de vastes installations suspendues. Empreint d’étrangeté, son travail sculptural interroge avec attention et poésie les expériences humaines, les mutations du monde et le passage du temps.
Dès l’entrée, Seuils nous immerge dans une réplique fantomatique de l’appartement de l’artiste, ici transformé en un lieu aseptisé rappelant un incubateur. Les murs translucides suggèrent l’entrelacement des espaces intimes et institutionnels. Ils laissent entendre que des dynamiques de pouvoir peuvent s’exercer dans chaque espace de vie. Divers éléments sculpturaux, inspirés d’équipements médicaux et des structures hydrauliques, ponctuent le parcours et évoquent la présence du corps et l’impact inhérent des environnements sur ce dernier. La fontaine, symbole de la circulation perpétuelle et du soin collectif, devient le point nodal où convergent mémoire et inconnu. D’apparence hybride, les objets représentés jouent avec une temporalité floue et échappent à une interprétation univoque. Ils semblent tantôt surgis d’un passé oublié, tantôt projetés dans un futur incertain. À la limite de l’apparition et de la disparition, leur apparence éthérée laisse planer l’idée de leur effacement, soulignant l’impermanence des lieux et des choses.
Dans cet univers, l’ordinaire se mue en étrange et chaque détour étonne par son allure infamilière, une notion décrite par Mark Fisher dans son essai Par-delà étrange et familier (2017). Deslauriers nous convie à parcourir l’intimité de son appartement comme une scène dérangeante, peuplée d’objets qui se transforment en témoins silencieux d’une réalité angoissante. L’étrange côtoie le familier et nous rappelle que même les espaces personnels recèlent de mystères inexplorés.
Seuils est une expérience déambulatoire, une invitation à traverser les frontières du personnel et du public, du visible et de l’invisible, de l’immuable et de l’éphémère. Les formes incomplètes de cet espace liminal sollicitent notre imaginaire et nous amènent à combler ce qui manque, à percevoir au-delà de l’absence et de l’oubli.
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Biographie —
Née à Joliette au Québec en 1983, Jannick Deslauriers vit et travaille à Montréal. À la suite de l’obtention d’un baccalauréat en beaux-arts de l’Université Concordia en 2008, elle développe un large corpus d’œuvres textiles translucides dont la réalisation s’échelonne sur une décennie. Reconnue pour ses sculptures éthérées qui abordent des thèmes tels que la domesticité, la mémoire et la destruction, elle s’intéresse à la vulnérabilité (des êtres et des choses), et à leur adaptation. En 2020, elle est reçue à La Yale School of Art pour y compléter une maîtrise en sculpture. Elle initie une nouvelle recherche qui voit apparaître l’utilisation de matières telles que l’acier, la cire d’abeille, le silicone et la poussière. Elle s’intéresse alors à une anthropologie des équipements associés aux milieux institutionnels tels que les hôpitaux. Son travail évolue en des environnements suspendus et inquiétants où se côtoient des objets hybrides qui rappellent des appareils de soutien ou de contention. Son passage à Yale la conduira à réaliser une installation immersive d’envergure (Phasmes) à l’occasion de son exposition rétrospective Être imaginaire au 1700 La Poste au printemps 2023. C’est au Worthless Studios de New-York à l’automne 2023 qu’elle entame son projet Chambres Blanches qui est présenté lors de la dernière édition de La Biennale de Québec. Par la suite, le WIELS, centre d’art contemporain de Bruxelles, l’invite au printemps 2024 pour son programme de résidences internationales. Elle y développe un nouveau projet d’installation qui aborde le sujet des fontaines et de leur prégnance historique, sociopolitique et mythologique par la confection d’un environnement fait d’acier et de soie et dont l’iconographie emprunte aux catégories du gothique, et de la science-fiction. Deslauriers prépare une première exposition à la galerie Trotter&Sholer à New-York pour l’hiver 2025. Ses œuvres font notamment partie de la collection du Musée des beaux-arts de Montréal, de la collection du Musée d’art contemporain de Montréal et de la Coleccion SOLO à Madrid.
Cette exposition est organisée en collaboration avec le Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul.
L’artiste remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien.
Images à la une :
© Jannick Deslauriers, Chambres blanches (détail), 2024, vue de l’installation présentée à la Chambre Blanche dans le cadre de la Manif d’art 11 – La Biennale de Québec. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. Photo : Béatrice Flynn