À propos —
Somebody Nobody Was… [Quelqu’un que personne n’était…] est une exposition itinérante du Musée d’art Audain, un musée situé à Whistler, en Colombie-Britannique. Elle présente les plus récents fruits d’une démarche visant à bousculer les frontières culturelles associées au fait d’être issu d’une Première Nation au 21e siècle.
Prolongeant le cadre performatif et évolutif qu’il a créé sous le nom d’Indian Brand Corporation [Société de marque indienne], Joseph Tisiga intègre dans son exposition de faux artefacts autochtones fabriqués dans les années 1950 par Oliver Jackson, un artisan d’origine anglaise. Parmi les œuvres les plus expérimentales présentées au Musée d’art de Joliette figurent de nouveaux assemblages créés à partir d’objets trouvés, de mégots de cigarette en plâtre et de balles de golf peintes, tous montés sur des panneaux de gazon synthétique.
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Organisée par le Audain Art Museum, avec le soutien du Conseil des Arts du Canada et Polygon Homes
Images à la une
Joseph Tisiga, vue de l’exposition Somebody Nobody Was…, au Musée d’art de Joliette, 2020. Photo : Paul Litherland.
Biographie —
Pendant la plus grande partie de sa carrière, Joseph Tisiga a résidé à Whitehorse, au Yukon. À l’été 2020, il s’est installé à Montréal où il a continué de produire de nouvelles œuvres depuis son appartement-studio. Tisiga a étudié au Nova Scotia College of Art and Design à Halifax pendant quelques années et, à son retour au Yukon, il a été employé comme travailleur social. Ses peintures, photographies, collages et installations ont fait l’objet d’importantes expositions de groupe, dont Oh Canada au MASS MoCA dans le Massachusetts en 2013, et il fait partie des plus de 70 artistes de l’exposition internationale d’art indigène contemporain du Musée des beaux-arts du Canada intitulée Abadakone. Tisiga a été finaliste du concours de peinture RBC 2009, il a remporté le prix REVEAL Indigenous Art Award en 2017 et le prix Sobey Art Award en 2020. Son art fait partie de collections publiques et privées dans tout le Canada et il est représenté par la galerie Bradley Ertaskiran de Montréal.
Mot du commissaire —
Joseph Tisiga a résidé à Whitehorse pendant une bonne partie de sa carrière; il s’est installé l’été dernier à Montréal où il a commencé à créer de nouvelles œuvres dans son studio-appartement. Après quelques années d’études au Collège d’art et de design de la Nouvelle-Écosse, il était retourné au Yukon en 2015 pour occuper un emploi comme travailleur social. Réunissant des œuvres récentes de l’artiste, l’exposition Somebody Nobody Was… [Quelqu’un que personne n’était…] aborde le sujet complexe de l’identité par le biais de pratiques diversifiées comme la performance, la photographie, l’assemblage et le redéploiement. Elle marque un changement de cap pour Tisiga, surtout connu au Canada pour les qualités narratives singulières de ses aquarelles et tableaux. Les œuvres présentées ici pourraient être décrites comme les fruits du travail d’un bricoleur qui fabrique et organise des objets un peu à l’improviste.
La stratégie esthétique adoptée par Tisiga accompagne en parallèle une réflexion plus large sur la formation et l’articulation des identités personnelles et collectives. Il y a en effet plusieurs façons de rendre l’idée selon laquelle les individus et les peuples sont la somme de leurs passés respectifs. Tisiga s’appuie sur son ascendance kaska dena pour faire émerger une voix ancrée dans les traditions autochtones nord-américaines, en maintenant un rapport constructif avec les valeurs sociales consuméristes héritées de la culture européenne.
Les photographies de grandes dimensions enveloppées de pellicule plastique de la série No Home in Scorched Earth [Sans racines sur la terre brûlée] évoquent la quête autobiographique d’une définition de l’identité kaska dena dans un environnement ravagé délibérément. Ces images renvoient notamment à une tactique courante à l’époque coloniale, celle de la terre brûlée, prélude à l’exercice d’une mainmise sur le territoire, ses habitants autochtones et sa faune. Dans une veine similaire, les sculptures sur panneau de la série Masks, Maps and Camps [Masques, cartes et camps] font allusion aux vestiges de l’occupation humaine; des assemblages de matériaux trouvés et d’objets manufacturés dressent une cartographie de références et de trames narratives. Les mégots en plâtre peints à la main et le gazon synthétique sont ici une constante; les premiers évoquent le passage du temps humain, ou encore les conversations échangées autour d’une cigarette, tandis que le second représente les territoires des Premières Nations.
Le regroupement d’œuvres d’Oliver Jackson (1899-1982) présenté sur des vitrines bricolées exprime le désir de Tisiga d’ébranler toute prétention à l’exclusivité relativement à sa propre production artistique. Il se sert de ces faux artéfacts « indiens » fabriqués par Jackson, un allochtone qui tenait un petit musée privé en bordure de la route tout près de Kelowna (Colombie-Britannique), comme des éléments s’additionnant à sa propre identité autochtone. Preuve que la démarcation des frontières culturelles suit parfois des chemins de traverse, la production artistique intégrale de Jackson fait aujourd’hui partie de la collection permanente du Musée Sncewips, propriété de la Première Nation Westbank, qui abrite des milliers d’articles de cet Anglais né dans le comté de Norfolk en 1899 et mort en Colombie-Britannique en 1982. Ce corpus récent de Joseph Tisiga présenté sous le titre Somebody Nobody Was… suggère que l’identité échappe aux définitions sommaires et que tout effort en ce sens serait vain.