À propos —
La non-figuration n’était pas strictement synonyme au Québec d’une critique progressiste envers l’académisme artistique et l’omniscience de la religion catholique. Marie-Anastasie (Laura Tourangeau, 1909-1989), qui s’initia à l’abstraction dans les années 1950, déconstruit à elle seule cette préconception. Le langage abstrait qu’elle élabora pendant près de quarante ans était entre ses mains un véhicule, non exclusif à l’avant-garde anticléricale, pour aborder les manifestations des plus diverses, parfois même fantastiques, de l’existence.
De nombreux traits communs s’observent entre Marie-Anastasie et le fondateur du Musée d’art de Joliette (MAJ), le père Wilfrid Corbeil. En plus d’avoir évolué au sein d’une communauté religieuse, les Sœurs de Sainte-Croix, pour elle, tous les deux ont entrepris un séjour artistique en Europe. Le sien la mena à Paris et à Bruxelles entre 1966 et 1969. Ils ont enseigné les arts tout en maintenant leur engagement dans leur communauté religieuse respective. Chez elle, l’enseignement eut lieu au Collège Basile-Moreau à Ville Saint-Laurent (1954 à 1963) et à son atelier montréalais de la rue Saint-Denis (1975 à 1985). Ils ont aussi laissé un corpus d’œuvres impressionnant. Lors de sa première exposition solo, Marie-Anastasie aurait présenté pas moins d’une cinquantaine d’œuvres.
Tous les deux se sont intéressés au mouvement du renouveau de l’art religieux qui visait notamment l’expression de l’essentiel à partir de la simplification des formes. Chez Marie-Anastasie, l’art est principalement une affaire d’expression de la couleur. La ligne vient en soutien à sa recherche du rendu de la lumière et de l’équilibre chromatique.
En soutien aux artistes, elle ouvre non pas un musée comme le père Corbeil, mais une galerie sur le Plateau Mont-Royal, véritable lieu de rencontre où elle créait et résidait. Touche à tout, Marie-Anastasie, principalement peintre, a largement produit en estampe comme le témoigne ce corpus d’une vingtaine de lithographies, réalisées entre 1966 à 1988, que le MAJ a acquis cette année. Féministe, sculptrice et éditrice de livres, elle était aussi conceptrice-vitrière, un rôle peu commun chez les femmes, dont il reste malheureusement peu de réalisations.
Plusieurs la surnommaient la femme étoile, en raison d’un ouvrage qu’elle a publié portant ce titre. Les œuvres ici rassemblées forment un firmament terrestre, la conjonction de ses observations et réflexions sur les phénomènes naturels et mystiques d’ici et d’en haut. Présenté en même temps que le Projet Corbeil, cet accrochage induit une comparaison avec la trajectoire du père Corbeil, mais l’œuvre de Marie-Anastasie mérite qu’on s’y attarde que pour elle. Trop souvent justifié et associé aux personnalités de renom qui lui ont enseigné, gardées sous silence ici, l’art de Marie-Anastasie est mûr pour une recherche poussée. L’appel est donc lancé.
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Biographie —
Marie-Anastasie (Laura Tourangeau 1909-1989), sœur de Sainte-Croix, est peintre, graveuse, poétesse et galeriste, sculptrice et éditrice de livres d’art. Diplômée de l’École des beaux-arts en 1954, elle présente sa première exposition en 1958. Elle obtient une bourse du ministère des Affaires culturelles du Québec qui lui permet de passer trois ans en France de 1966 à 1969. En 1975, elle ouvre une galerie d’art, au 4332 rue Saint-Denis, où elle expose régulièrement des œuvres d’artistes peu connus, mais qu’elle soutient. Véritable lieu communautaire et milieu de vie, cet espace créatif démontre sa passion et son implication dans le monde de l’art au Québec.
Images à la une :
Vues du vernissage d’automne 2023 au Musée d’art de Joliette. Photo : Ysabelle Latendresse
Marie-Anastasie (Laura Tourangeau), L’œil spatial, 1984. Avec l’aimable permission de la Congrégation des sœurs de Sainte‑Croix. Photo : © Musée d’art de Joliette.