À propos —
Depuis 2017, Martin Désilets photographie systématiquement les œuvres modernes et contemporaines exposées dans les musées qu’il visite au Canada, aux États-Unis et en Europe, en suivant un protocole strict de prises de vue. Il superpose les fichiers numériques ainsi obtenus, avec en tête l’objectif ultime de réaliser un monochrome photographique noir épuisant son regard; une œuvre paradoxale qui, tout en témoignant de la somme de tout ce qu’il aura observé, ne semblera, pourtant, ne plus rien donner à voir. Combien de temps passons-nous devant une œuvre afin de l’apprécier à sa juste valeur? Comment consommons-nous les œuvres d’art? Est-ce que le fantasme de l’exhaustivité se profile derrière tout acte de collectionnement?
Le projet Matière noire cerne plusieurs enjeux pertinents en regard des pratiques muséales. C’est pourquoi le Musée d’art de Joliette a invité l’artiste à poursuivre sa réflexion en réalisant une résidence de création entre ses murs, qui s’est tenue de janvier à juillet 2020. Inspiré par l’accrochage thématique de la collection dans l’exposition Les îles réunies, Désilets a choisi d’adapter son protocole initial pour faire l’inventaire des natures mortes, des paysages, des portraits et des abstractions accessibles dans les réserves du MAJ ou exposées dans ses salles. Les quatre œuvres découlant du processus de superposition du matériel source photographié au Musée reprennent les dimensions exactes des quatre tableaux auxquels elles se substituent en infiltrant la salle dédiée à la collection permanente. Avec ce projet, l’artiste dresse un état des lieux d’une portion de la collection du MAJ qui, paradoxalement, s’efface dans les photographies réalisées. Des extraits du corpus Matière noire ainsi que des photographies de la série Lieux-monuments complètent la sélection d’œuvres présentées en offrant un aperçu des projets récents menés par Désilets.
Dans son acception courante, la photographie se définit comme une trace qui vient redoubler le réel et fixer pour l’éternité le présent d’un moment fugitif. La photographie est ainsi un objet de mémoire, voire un « objet mélancolique », selon l’expression de Susan Sontag, intellectuelle américaine qui s’est penchée sur ce médium. Les photographies de Martin Désilets réfèrent bel et bien à l’événement, passé, de leur captation. Par leur qualité abstraite, elles semblent pourtant évoquer davantage une tentative de matérialisation de la teneur affective de cet instant, intensifiée par le souvenir. Réalité captée par un appareil sans lentille menant à une absence de figuration ou somme de plusieurs instants photographiques culminant dans un effacement par l’accumulation d’informations, ces œuvres fonctionnent comme des métaphores. Elles rendent perceptible une part d’intangible en pointant vers cette dimension de l’expérience que l’image, déclencheur du phénomène de réminiscence, ne peut qu’espérer raviver, sans pouvoir réellement l’incarner.
Anne-Marie St-Jean Aubre
Conservatrice de l’art contemporain
Martin Désilets a effectué une résidence de deux mois dans les réserves du MAJ, entre janvier et juillet 2020.
Image à la une :
Vue de l’exposition Les tableaux réunis de Martin Désilets, Musée d’art de Joliette, 2021. Photo : Romain Guilbault.
Biographie —
Depuis 2015, Martin Désilets a réalisé de nombreuses résidences, notamment à Bâle, à New York, à Paris, à Berlin et au Parc national du Gros-Morne à Terre-Neuve. Ses œuvres ont fait l’objet de plusieurs expositions à Montréal (Musée d’art contemporain de Montréal, Occurrence, B-312, Circa et Optica), Laval (Maison des arts), Toronto (G44 Gallery), Oakville (Oakville Galleries), Paris (Geste Paris), Berlin (Institut für Alles Mögliche) et Beyrouth (Espace SD). Plusieurs de ses œuvres se trouvent dans différentes collections privées et publiques, dont la collection du Musée national des beaux-arts du Québec et celle du Musée d’art contemporain de Montréal. L’exposition au Musée d’art de Joliette fait suite à une résidence d’artiste que Martin Désilets a réalisée dans les réserves du Musée en 2020.